Tuesday, June 22, 2010

UNE STRATÉGIE POUR PIN: UNE VISION DE LA PROSPECTIVE DES MÉTIERS

Il nous fait d’abord prendre en considération les difficultés largement inhérentes au présent projet et qu’il convient de bien mettre en lumière.

* De manière générale, on n’est plus aujourd’hui dans une dissémination de certitudes, mais d’itération, où chaque message se construit par rapport à un autre. PIN est un projet de réseau thématique où un tel changement de perception s’impose tout à la fois à l’égard de tous les publics cibles identifiés, mais aussi en interne, au travers notamment des rapports entre les word package (même si cette pratique de regroupement de taches - habituelle à tous les projets européens - se voit aujourd’hui clairement contestée par les pratiques les plus innovantes de management de projet).

* Une autre des difficultés qu’il nous faudra surmonter est qu’au-delà des divers acteurs identifiés à des métiers plus ou moins déterminés et à des fonctionnalités claires s’impose une multiplicité de scénarios professionnels où se démultiplient les synergies entre savoirs.

* Les publics cibles connaissent eux-mêmes de considérables changements dans la définition de leurs profils. Ainsi, le monde des entreprises ne trouve plus sa diversité au travers de leur taille, mais essentiellement de leur réactivité et de leur niveau d’innovation : nos interlocuteurs en la matière seront ainsi d’abord ceux des entreprises en réseaux. A leurs côtés figurent surtout les acteurs de la clustérisation des territoires qui caractérise l’économie de la connaissance: nous organiserons ainsi à l’automne à Bruxelles une rencontre européenne dédiée aux métiers de l’Internet et au monde de l’innovation. Très concrètement, comme évoqué à l’occasion de notre rencontre à Paris, ce sont plus les Living Labs et les acteurs économiques qui s’y retrouvent que les entreprises traditionnelles - même si naturellement il n’est pas question de les ignorer en la matière -.

Pour ce qui est de notre propre vision que nous souhaiter partager au sein du projet PIN, elle se voit largement basée sur une PROSPECTIVE DES METIERS, à court ou long terme, et qu’il s’agisse des métiers d’aujourd’hui ou encore de ceux de demain - tant il est vrai que le contexte de nos travaux est celui d’une vraie « guerre des talents ».

Comme le montre par exemple Pascale Levet dont nous suivrons ici très largement les préconisations au travers de la description de ses analyses au sein du LAB’HO (groupe Adecco) ou encore dans le cadre de l’ANACT - dans le domaine de l’Internet et des technologies de la connaissance surtout (les travaux d’Aline Scouarnec 1 et ceux d’Emmanuelle Marchall au Centre d’Etude de l’Emploi, qui figureront dans nos prochaines bibliographies) -, une meilleure description du travail lui-même peut réellement enrichir la prospective des métiers.

Les fondements mêmes de la reconnaissance des qualifications avaient en effet été remises en causes par des modalités de recrutement largement connectées des savoirs en question : c’est là au demeurant que se mesurent le mieux ce que seront les conséquences concrètes du développement d’une économie basée sur la connaissance qui est tout ici sauf une expression vaine.

Si la prospective peut donc éclairer les enjeux futurs d’un marché de l’emploi, ce n’est donc pas en limitant son approche à la définition qualitative et quantitative des compétences requises demain, mais en l’élargissant aux mécanismes de rapprochement entre l’offre et la demande dans les domaines qui nous concernent ici.

Les développements récents du recrutement par simulation répondent bien à de tels enjeux, ceci en apportant une véritable visibilité sur les ajustements qualitatifs et quantitatifs requis demain.

Nous aurons ainsi à montrer dans nos préconisations que c’est bien évidemment ici la posture même du recruteur qui est amené à évaluer en profondeur.

De même, nous entendons que nos analyses et leur dissémination permettent de construire de vraies stratégies en termes de production et d’allocation des ressources humaines futures.

Plusieurs axes devront illustrer la présente vision de notre dissémination:

* la place de l’employabilité dans le domaine qui est le nôtre, ou plus précisément encore la prospective des opportunités de transitions professionnelles : une prise en compte des processus cognitifs des divers acteurs du marché de l’emploi et dans la construction d’une évaluation de l’employabilité est indispensable et nous comptons bien intervenir sur ce point dans les grandes enceintes internationales aujourd’hui mobilisées sur ces questions.

* l’échec au cours des deux dernières décennies de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, notamment dans la gestion de l’expertise: il s’agit en l’occurrence de prendre en compte surtout les combinaisons nouvelles d’activités et de compétences.

* le rôle des dynamiques professionnelles et donc organisationnelles: ce qui compte dans les métiers de l’Internet notamment, c’est d’abord aujourd’hui de s’assurer de la systémique du regard qui, selon l’expression de Jean-Baptiste Suquet 2, doit permettre de rendre compte d’environnements et d’organisations complexes. Il nous faut donc à l’évidence articuler dans nos analyses des niveaux et surtout des temporalités diverses (avec notamment un aller retour présent / futur dans la description des qualifications et ce ne sera pas le plus simple dans nos actions de dissémination, comme l’ont montré des rencontres et des séminaires récents.

* l’implication de tous les acteurs dans nos formulations et dans l’élaboration de notre regard prospectif, en ce qui concerne notamment les liens entre les différentes expertises : nous devons décrire, dans l’économie du lien qui est de plus en plus la nôtre, l’évolution des savoirs, mais davantage encore les liens entre ces savoirs. Notre dissémination doit être celle d’une confrontation dialectique des expériences en présence.

* l’attention accrue qui est portée aux effets de la recherche : la conception de la majeure partie des métiers de l’Internet implique que les connaissances produites doivent être «actionnables», ce qui amène par exemple à adopter des positions de co-conception et d’analyse des conditions de réflexivité impliquées par ces métiers. Nos métiers exigent leur part dans l’appropriation des résultats technologiques obtenus par un écosystème de créativité : nous présenterons prochainement dans une université d’été notre analyse en ce domaine.

* un positionnement qui est celui de la sociologie des professions : nous aurons à suivre notamment le cadre conceptuel élaboré par les travaux d’Andrew Abbott3, en ce qui concerne notamment la structuration des métiers émergents. Il s’agit certes pour nous de reconnaître le déterminisme de l’existant, mais surtout de saisir sa dimension « phénoménologique », à se situer donc dans un monde de l’émergence » 4.

* la prospective participative des métiers, dont l’intérêt pour la dissémination de PIN est qu’elle peut constituer tout à la fois un vecteur de prise de conscience des transformations et une démarche proactive face aux évolutions qui en fait un très bon outil d’accompagnement du changement dans des conditions notamment particulièrement sensibles et complexes.

* les cartographies de connaissances nécessaires pour le pilotage des ressources humaines et la structuration dans les organisations de réseaux de compétences où ceux-ci créent, acquièrent et diffusent des savoirs 5. On sait que ces cartographies permettent de représenter métiers et compétences en structurant un contenu co-construit qui permet une vraie identification du patrimoine de connaissances permettant aux organisations soucieuses de gérer ce patrimoine, d’en faire une analyse précise afin de déterminer dans leurs stratégies quelles sont les connaissances qu’elles doivent privilégier, préciser, développer…Le regard de PIN doit tenir compte le plus largement possible des systèmes de développement de compétences que chaque partenaire repérera autour de lui.

* le statut de la notion même de métier et ses avatars contemporains : on n’a pas assez souligné la force avec laquelle le mot même revient sur le devant de la scène sociale. De nombreux travaux s’interrogent ainsi sur cette résurgence à laquelle notre projet participe pleinement, de même que sur le sens d’une telle résurgence au cours de ces dernières années, alors même - comme le soulignent par exemple les analyses récentes du psychologue Y.Clot 6 - les attributs sociologiques des réalités qu’il désigne ne cesse de se déliter… Dans le monde de l’Internet, comme le montre une récente émission de la chaîne TECHTOC TV à laquelle nous avons participé, on peut s’interroger à bon droit : le métier peut-il redevenir une notion «organisante» du monde du travail ? Grâce aux technologies émergentes, acquière-t-il un nouvel imaginaire social ? Alors qu’émerge l’engouement des gestionnaires pour les notions de «talent» et de «communauté de pratique», nous avons donc, au sein de notre vision de dissémination de projet, à inventorier aussi les nouvelles acceptions des notions véhiculées dans nos analyses.

* le positionnement théorique très fort des métiers de l’Internet dans le champ de l’éthique sociale contemporaine, qui en fait un sujet d’intérêt pour de nombreux acteurs économiques au travers par exemple de l’anticipation partagée des futurs émergents en termes de compétences, d’activités et de responsabilités. Un nouveau métier en est d’ailleurs souvent issu dans certaines entreprises: celui de «référent de conformité éthique». Ceci nous permettra de présenter PIN aux nombreuses instances existantes en la matière, telles que les cercles de déontologue et les comités d’éthique dont les conférences nous sont régulièrement ouvertes.

Pour conclure cette rapide énumération des différents axes de travail et de réflexion que nous entendons donner au projet, nous pensons tout particulièrement aux travaux de B. Gazier (Université de Lille) qui émet une affirmation fort utile pour amorcer nos débats 7 : « La figure du sublime, dit-elle, incarnée par une poignée d’ouvriers à la fin du second Empire se réincarne aujourd’hui dans les travailleurs par projets de l’économie high tech ». Excessive ou non, une telle formulation nous montre bien le niveau d’ambition qui doit être le nôtre !
Notes
1 A. Scouarnec, « L’observation des métiers : définition, méthodologie et actionnabilité en GRH », Management et avenir, 2004.
2 JB. Suquet, «Pour une prise en compte des dynamiques professionnelles…», Economie et société, 2007.
3 Chacun connaît son ouvrage de référence : « The system of professions » publié dès 1988 par les presses de l’Université de Chicago.
4 L.Gimbert, in  « La prospective : pour un retour aux fondamentaux », Management et avenir, 2004.
5 Notre travail de dissémination s’inscrit complètement dans le cadre conceptuel élaboré depuis 1993 par P. Drucker (« Le big bang des organisations », Harvard).
6 Y. Clot, « Travail et pouvoir d’agir », Paris, 2008.
7 « Vers un nouvel outil social », Paris, 2005.

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